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La nouvelle famille cigogne
9 septembre 2014

Nouvelle#3

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Oh mon Dieu, elle est dans un manège, elle tourne, elle ne parvient pas à fixer son regard sur quelque chose, elle virevolte au dessus du sol, elle ne sait plus où est le sol, le plafond, ne distingue plus les personnes, les voix.

" Regardez devant vous Madame, ne regardez pas le sol, il faut vous concentrer sur le mûr et sur ma voix"

Petit à petit, elle reprend pied, la pièce arrête de tournoyer, elle entend cette femme, elle la voit, elle se souvient de l'endroit où elle se trouve et de ce qui vient de s'y passer. Elle n'est pas dans un manège non, elle est dans un bloc opératoire.

Elle a froid, elle se sent nauséeuse, elle veut aller vite mieux pour quitter cet endroit.

Après quelques minutes, elle est prête à retrouver le monde des vivants, on l'accompagne en fauteuil roulant vers une petite pièce ou l'attendent un petit déjeuner, d'autres femmes et ...son mari.

C'est en le voyant, en apercevant son inquiétude, sa tension qu'elle s'écroule.

Un torrent de larme, un torrent de cris étouffés. Elle se sent impuissante à le rassurer, lui qui ne comprend pas pourquoi elle est dans cet état, pourquoi elle pleure et semble aller si mal. Elle ne comprend pas elle-même.

Et puis d'un seul coup, la tristesse et les pleurs laissent place à un autre sentiment. La colère, la haine.

Elle voudrait crier, taper, faire mal. Elle ressent une telle bouffée de violence en elle qu'elle pourrait faire n'importe quoi. Elle qui est non violente dans l'âme, qui déteste faire du mal, se retrouve à l'opposé d'elle-même et ça lui fait peur.

Entre deux sanglots, elle essaye d'expliquer, de reprendre son souffle, de se rassurer. Tout le monde s'inquiète mais fini par la laisser vivre sa crise de larme et de haine.

Elle avait choisi de vivre ce moment sans anesthésie. Comme pour le vivre à 100 %, comme pour se prouver qu'elle était forte, déterminée et que ça lui porte chance. Elle ne regrette pas, elle ne regrettera jamais d'avoir fait ce choix mais ça a réveillé en elle toute la douleur accumulée pendant ces 3 années. Trois années à rêver, à être déçue, à ne pas être comprise, à espérer puis à désespérer.

Quand la jeune femme à commencé à ponctionner, elle a serré les dents. Ça faisait un mal de chien mais elle n'est pas une chochotte. Elle s'est concentrée sur son objectif, elle à rêvé de son bébé pour se donner du courage. Au bout de la douzième ponction, elle ne pouvait plus se retenir et laissait échapper des petits cris. Chaque fois que l'aiguille rencontrait un follicule, c'était une victoire douloureuse. La jeune femme faisait un bilan en live en lui énumérant le nombre d'ovocytes prélevés. La "récolte" avait été bonne, elle touchait son rêve du doigts.

Mais cette douleur s'est mêlée à une autre, bien plus dure, bien plus insupportable, la douleur psychologique de la femme impuissante qui ne parvient pas à concevoir un enfant dans le plaisir et qui doit passer par la douleur pour y parvenir.

Alors elle en a voulu à la terre entière, à toutes ces femmes qui arrivent à concevoir normalement, à celles qui ne voulaient pas et qui l'ont fait quand même, aux hommes qui ne comprennent pas sa douleur, à ceux qui lui disent qu'elle y pense trop, à ceux enfin qui veulent absolument dédramatiser la situation. Elle voudrait les voir tous devant elle là, maintenant et leur imposer ce qu'elle vient de vivre.

La vie n'est pas juste!

A ce moment là, elle ne sait pas que sa douleur aura été veine... mais plus pour longtemps.

Parce que la vie n'est pas juste mais la roue tourne d'une manière ou d'une autre.

Elle finit par se calmer, par réussir à expliquer qu'elle a ressentit une bouffée de colère et de haine dévastatrice et elle a été rassurée de savoir qu'elle n'est pas la seule à vivre ce moment particulier de cette manière.

Elle aura vécu l'espace de quelques minutes dans la peau d'une personne haineuse qui souhaite voir les autres souffrir, comme pour soulager sa propre souffrance. 

Elle va passer à autre chose, va connaître le bonheur ultime un jeudi matin de février, enfouir ces 3 années dans un recoin de son cerveau mais jamais elle n'oubliera et jamais ne banalisera.

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Commentaires
J
Ça prend au coeur... on s' y croirait...!
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